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Belle Époque

Bonnes fêtes de fin d'année

23 Décembre 2023, 18:58pm

Publié par Hervé

JOYEUX NOËL ET BONNE ANNÉE

À L'ANNÉE PROCHAINE !

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Ça c'est de la bagnole !

22 Décembre 2023, 10:00am

L’automobile était stationnée dans une petite rue perpendiculaire à la rue des Pyrénées. Une torpédo quatre-places. Gus attendait debout sur le trottoir. Blouse, casquette, cigarette au bec. Une sacoche en cuir en bandoulière. Marcel le salua.

- Belle bagnole !

- Citroën B2. Ça c'est de la bagnole ! Vingt chevaux. Trois vitesses. Démarrage électrique. Soixante-douze km/h. Tu fais le tour du monde avec ça. 

- Ça coûte combien, un truc pareil ?

- Dans les quatorze mille francs.

Marcel siffla entre ses dents.

- Mazette ! C'est ta bagnole ?

Gus rigola.

- Non. Ch'uis pas banquier. C'est un prêt. Un pote à Paulo qui bosse dans une compagnie de taxi.

Paulo venait d’arriver avec le quatrième comparse et la pancarte qu’il donna à Marcel.

- Tiens, prends ça aussi. Mets-le dans ta musette.

Un pistolet. Marcel prit peur :

- Qu'est-ce que je fais avec ça ?

- Rien. C'est juste au cas où tu tombes sur des gens un peu énervés. Tu l'agites devant eux et ça devrait les calmer. Par contre, ça c'est important.

Paulo avait sorti une sorte de sifflet de sa poche.

- Tu sais ce que c’est ? C’est un appeau. Quand tu siffles dedans (il siffle, chant d’oiseau) ça fait un cri d’oiseau. Si tu vois des cognes rappliquer, siffle. Je te fais pas un dessin… T’as compris que j’étais pas très copain avec la rousse. Je préfère qu’elle ne se mêle pas de mes affaires.

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Correspondance entre Pierre et Héloïse

19 Décembre 2023, 10:00am

Mon Héloïse

Paris le 29 mai 1922,

Je t’écris dans la nuit de dimanche à lundi. J’ai les idées un peu embrouillées, j’ai attendu la fermeture du cabaret et je suis fatigué. Je vais aller à l’essentiel.

Hier, Louise m’a posé une drôle de question au sujet de nous deux. Elle voulait savoir si je criais très fort sur toi. J’ai tout de suite compris qu’il ne s’agissait pas de nous, mais de Marguerite et de Marcel. J’ai essayé d’interroger Marguerite à ce sujet en lui ramenant Louise. Elle ne m’a rien dit, sinon que Marcel avait perdu son travail. Il me semble qu’elle avait un cocard sous l’œil.

Comme je regrette que tu ne sois pas avec moi dans des moments comme celui-là ! Je ne sais pas quoi faire. J’ai bien examiné Louise, elle n’a pas de trace de coups. De toute façon, elle m’en aurait parlé. J’ai peur pour elle. J’ai peur pour Marguerite et Jules aussi. On lit tellement de choses bizarres dans les journaux !

Je t’aime tellement mon Héloïse ! J’ai hâte que tu sois là. Et j’ai hâte que tu reviennes définitivement. C’est si long ! Je t’embrasse et j’embrasse Antoine. Dis-lui que je pense à lui.

Ton Pierre

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Prix et salaires pendant les années folles

18 Décembre 2023, 10:00am

Un peu d'histoire...

Les prix sont restés relativement stables de 1900 à 1914, si l'on excepte un accident de parcours en 1911. Si l'on prend comme point de référence un indice 100 en 1900, il est à 115 en 1914, soit approximativement une hausse de 1% par an. La guerre se traduit rapidement par une pénurie dans les villes. Malgré une politique de rationnement et de contrôle de prix, ceux-ci se mettent à dériver : +20% en 1915, +11% en 1916, +20% en 1917 et près de 30% en 1918. En quatre ans les prix ont plus que doublé.
La tendance ne se calme pas dans l'immédiat après-guerre. Dans un pays en reconstruction, l'offre reste durablement inférieure à la demande. Les prix continuent de flamber : +22,6% en 1919, +39,6% en 1920 ! Notre indice 100 est passé à 407 en 1920.

En 1921 et 1922, une politique déflationniste et la perspective des réparations payées par l'Allemagne soutient le franc et contient un temps l'inflation. Les prix amorcent une timide descente (-15% en deux ans). Mais les prix repartent à la hausse dès l'année 1923. L'année 1926 est particulièrement mauvaise, avec +32%. En 1930, si l'on se réfère à l'année 1900, les prix ont été multipliés par 6,8. Par rapport à la fin de la guerre, le facteur multiplicatif est de 2,8.

Le manque de main d’œuvre liée aux pertes humaines pendant la guerre permet cependant de soutenir le pouvoir d'achat des ouvriers. Le salaire horaire d'un ouvrier menuisier était de 0,8 F en 1913. Il est de 6,25 F en 1930. En apparence, l'augmentation du salaire horaire compense largement celle du coup de la vie, mais il faut tenir de la réduction du temps de travail à huit heures qui est effective à partir de 1919 (loi du 23 avril 1919). En pratique, et dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, les ouvriers font des heures supplémentaires...
Une analyse plus fine du contexte économique amène cependant à prendre en compte l'industrialisation et les progrès techniques. Ils se traduisent par une augmentation des niveaux de qualification. Il y a plus d'ouvriers et ils sont plus qualifiés. Le salaire moyen à l'échelle de la population est donc supérieur. Les économistes s'accordent à dire que le pouvoir d'achat a augmenté en moyenne de 30% entre le début du siècle et l'année 1930. Dans le même temps, le standard de vie a augmenté, en particulier dans le domaine alimentaire, mais pas que. On mange plus de viande, on se chauffe mieux, on va au cinéma...

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Deux copines

15 Décembre 2023, 10:00am

Bonus

Lucie ne comprend pas ce qu’Amandine trouve à Anatole Brigouleix. Râblé, le front haut. Il perdra vite ses cheveux ! Mais ils sont inséparables depuis des années. Anatole a huit ans de plus qu’Amandine. Lorsqu’elle était encore une enfant, il la faisait jouer. Et puis elle a grandi et il a découvert qu'elle était devenue une grande et belle jeune fille. Et voilà qu’Amandine va se marier avec Anatole !

- Pas avant l'année prochaine. Le temps que je termine mes études et que j'aie un poste.

- Et ta maman ?

- Tu sais comme elle est... Toujours très inquiète. Il y a des jours où elle est heureuse et d'autres où elle a peur de me perdre.

Amandine Mercier

- Elle ne sera pas seule, elle aura Léa.

- Et puis je ne vais pas l'abandonner !

- Et Anatole, qu'est-ce qu'il fait, maintenant ?

- Toujours de la radiodiffusion. Il espère devenir journaliste. Il y a un projet pour que Radio Tour Eiffel émette pour le public. Avec des informations, de la musique, des émissions consacrées à la littérature, au théâtre... (Un temps.) Et toi ? Tu m'avais parlé d'un garçon que tu as rencontré à la faculté.

- Julien ? Je ne sais pas encore...

- Il te plaît ?

- Oui, mais on ne se connaît que depuis quelques mois !

Lucie

- Et lui, tu lui plais ?

- Je crois.

Lucie fait une mimique qui fait rire Amandine.

- Et Céleste ? Et Pierre ?

- Céleste, elle va bien. Tu sais qu’elle a eu un deuxième enfant ? Cyprien. Elle a son cabinet de radiologie maintenant. Pierre, je le vois moins depuis la fin de la guerre. J'aimais bien quand il venait en permission à la maison. 

- Tu étais amoureuse de lui !

- Arrête ! C’est pas vrai ! On avait de longues discussions ensemble. Il me parlait comme à une adulte. 

- Et qu'est-ce qu'il devient ?

- Il a toujours son cabaret, le Paris-Harlem. Ça marche très bien. Il paraît qu'il y a de la bonne musique. Du jazz. 

- Et sa fille ?

- Oh, c'est compliqué. Louise, le demi-frère de Louise, la maman de Louise, Héloïse, Antoine...

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Clémentine

14 Décembre 2023, 10:00am

Il est gentil, le petit Wenger. Le petit... Le grand ! Mais il a gardé la maladresse d'un adolescent qui ne sait que faire de son corps. Elle sait bien qu'il la dévore des yeux. Les yeux noirs de sa mère derrière ses lunettes de myope. Et quand elle le regarde, il détourne la tête et fait mine de s'intéresser à la conversation.

Elle ne manque pas de prétendants, Clémentine de Courçon-Marans. Ni de messieurs qui voudraient bien l'ajouter à leur tableau de chasse. Ça fait jaser. La teigne de Montfort ne se cache pas pour dire « C'est un miracle que notre ami Courçon, qui, il faut bien le reconnaître, n'est pas gâté par la nature, ait une fille aussi jolie ! » Elle sait bien, Clémentine, que sa mère n'était pas une sainte. Ah ça, elle ne risque pas d'avoir eu des amants, la Montfort !

Wenger n'est pas un apollon, mais il a de la conversation. Quand on parle d'une exposition, ou d'un concert, il est le seul de ces Messieurs à pouvoir soutenir la conversation. Et il aime Chagall. Clémentine aime beaucoup Chagall. Tenez, prenez Rougon, par exemple. Qui lui fait la cour. Beau gosse. Tennis. Équitation. Mais à part les cours de la bourse de la journée, il n’y a rien à en tirer !

Clémentine ne sait pas trop comment se comporter avec Wenger. C’est un sentimental. Il est du genre à croire au grand amour. En tout cas, ce n’est pas lui qui fera le premier pas. Quoique. Tout à l’heure, il l’a invitée à danser ! Le pauvre chou. Il a manqué plusieurs fois de se prendre le pied gauche dans la jambe droite. Les autres ricanaient.

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Paris-Harlem (II)

12 Décembre 2023, 10:00am

Making of, propos recueillis en 1925 auprès d'Edmonde, la petite brune qui est avec le fils Van der Graaffen

Le Paris-Harlem ? Bien sûr que je connais. On y allait une fois par semaine avec Henrick. Une boîte où on pouvait écouter du très bon jazz. Souvent, on y retrouvait Rougon et Lamothe avec sa petite amie. Il paraît qu'il vont se marier. Elle a tiré le bon numéro, celle-là. Il ira loin, le Lamothe ! Remarquez, avec sa prothèse... Je ne sais pas si j'aimerais ça, moi, faire l'amour à un gars à qui il manque un morceau.

Il y avait aussi Clémentine et son petit toutou de Gaspard. Il est drôle, celui-là ! Il passe son temps à la regarder avec des yeux de veau et il est d'accord avec tout ce qu'elle dit ! Pourtant, parfois, elle y va un fort. Comme si nous, les femmes, on y comprenait quelque chose à la politique. On en ferait, quoi, du droit de vote ! Il paraît qu'ils sont ensemble maintenant. Quel drôle de couple ! Je ne comprends vraiment pas ce qu'elle peut lui trouver. Un grand dégingandé qui danse comme un pied. C'est vrai qu'il a un sacré paquet d'actions. C'est pas négligeable. Mais c'est Maman Lola qui gère tout ça. Elle va avoir du mal à mettre la main sur le fric, Clémentine !

Enfin... C'est dommage qu'il ait fermé. Le Paris-Harlem, pas Gaspard. Du jour au lendemain. On n'a jamais su pourquoi. Enfin, si. Fermeture administrative. C'est surprenant. C'était une boîte très correcte. Rien que du beau monde. Et on ne nous a jamais proposé quoi que ce soit de louche. D'ailleurs Lamothe connaissait le gérant. Un gars qui lui a sauvé la vie pendant la guerre. Il a demandé à Gaspard de lui donner un poste de directeur dans son usine après la fermeture du cabaret. Si ce gars avait été impliqué dans un trafic quelconque, il ne lui aurait jamais demandé ça !

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Jazz et revues au temps des années folles

11 Décembre 2023, 10:00am

Un peu d'histoire...

1900, la France découvre le ragtime grâce au US Marne Band, l’orchestre de la Marine américaine, dirigé par John Philip Sousa. Mais l’audience du ragtime reste limitée. Le jazz débarque véritablement en Europe, et plus particulièrement en France, avec le contingent américain venu en renfort des troupes anglo-françaises.

Parmi les quatre millions d’Américains qui arrivent dans notre pays, plus de 10% sont des afro-américains. Parmi eux, James Reese Europe, le propriétaire de deux clubs de jazz à New York. Il rejoint le 369e régiment d’infanterie du corps expéditionnaire américain. Son Harlem Infantry Band va donner de nombreux concerts, des plus petites bourgades aux grandes villes.

L’orchestre déchaîne l’enthousiasme du public. Jean Cocteau parle d’un «ouragan de rythmes et de tambour» qui électrise une salle «déracinée de sa mollesse par cet extraordinaire numéro qui est à la folie d’Offenbach ce que le tank peut être à une calèche de 70».

11 novembre 1918, l’armistice est signé. Les volontaires afro-américains reprennent le bateau, mais le jazz s’installe à Paris. La jeunesse veut vivre à 100 à l’heure, rattraper le temps perdu. Cette musique qui bouleverse les codes établis, avec ses rythmes sautillants qui incitent irrésistiblement à danser, ses sonorités joyeuses qui font la part belle aux cuivres, est faite pour eux. C’est une musique radicalement nouvelle, qui renvoie au musée les compositions compassées d’avant-guerre, une musique qui exprime la joie de vivre, de danser, de faire la fête. Paris devient la deuxième capitale du jazz, Montparnasse est le "black Montmartre" où viennent se produire les plus grands noms du jazz, Sidney Bechet, King Oliver, Louis Armstrong.

Les cabarets de jazz fleurissent. La révolution jazz s’accompagne d’une autre révolution, celle des revues. Lorsque Joséphine Baker débarque à Paris en 1925, elle n’est pas encore la vedette de la Revue nègre. Mais son numéro de Charleston vêtue d’un simple pagne dans un décor de savane déchaîne les passions. Deux ans après, elle signe aux Folies Bergère dont le spectacle fait salle comble tous les soirs. Le cancan n’attire plus les foules, place aux revues dans lesquelles de jeunes femmes aux seins nus se trémoussent au son d’un air de jazz endiablé !

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Paris-Harlem

8 Décembre 2023, 10:00am

Sacrée ambiance ! Le trompettiste est un type trapu. Ses joues sont deux grosses pommes rondes et luisantes. Sa trompette est tour à tour joyeuse, martiale et puis plaintive, caressante… Le saxophoniste à côté de lui est un grand type avec un chapeau melon. Il se tient cambré, son instrument posé en bas de son ventre. Il répand une musique suave, entêtante, en contrepoint de la trompette. Les doigts du contrebassiste pincent les grosses cordes de l’instrument derrière lequel il se cache. Doum, doum, doum… La batterie se fait discrète : c’est au tour du piano de jouer la mélodie. La chanteuse est café au lait. Les autres musiciens sont noirs. Elle a une voix rauque et chante des trucs qu’on ne comprend pas mais qui vous remuent les tripes. Ou qui vous font danser. C’est selon. Dans ce cas, impossible de rester assis.

On ne se tient plus en passant un bras derrière le dos de son partenaire et en tournant avec élégance sous les lustres d’une pièce aux murs couleur pastel. On ne se tient plus du tout. On saute d’un pied sur l’autre en lançant alternativement une jambe en avant puis l’autre, les bras écartés, les mains vers le haut. De jolies jambes. Les robes sont courtes, on voit les mollets de ces dames. Et lorsque le rythme devient frénétique et qu’elles se trémoussent en cadence, on peut même voir leurs genoux !

Le paris-Harlem, j'adooore...

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Offensive Nivelle et chanson de Craonne

7 Décembre 2023, 10:00am

Un peu d'histoire...

La chanson de Craonne est une chanson antimilitariste chantée par les soldats dans les tranchées pendant la Première guerre mondiale. Si elle est aujourd'hui associée aux mutineries de l'année 1917,  elle n'a pas été composée à cette occasion. Elle a été chantée avec d'autres paroles dans d'autres secteurs du front. On en connaît une version relative à des combats en Champagne et une autre citant nommément le Fort de Vaux près de Verdun.
Le caractère exceptionnel des mutineries de 1917, et la répression qui a suivi, ont contribué à faire de la version que nous connaissons aujourd'hui celle qui est passée à la postérité.
Cette version rassemble tous les ingrédients de la chanson subversive. Elle est antimilitariste, défaitiste et appelle à la mutinerie :
C'est fini, nous, les troufions, on va se mettre en grève.
Elle a été interdite par le commandement militaire. On raconte qu'une récompense avait été promise à celui qui dénoncerait ses auteurs, mais c'est probablement une légende. 
Selon des témoins, elle aurait été entonnée par les mutins après l'offensive meurtrière et inutile commandée par le général Nivelle au Chemin des Dames en 1917. L'ordre de bataille prévoyant que les soldats devaient donner l'assaut à découvert sur un plateau soumis au feu des mitrailleuses allemandes. La grève des attaques est lancée le 2 mai. Elle se répand rapidement et touche 50 régiments.  La répression est immédiate. Près de 3500 soldats sont condamnés. 554 condamnations à mort sont prononcées, 57 seront exécutées.

Village dévasté lors de l'offensive Nivelle

La version actuelle a probablement été réécrite a posteriori. Le texte fait référence à un épisode de l'offensive Nivelle qui s'est déroulée à proximité du village de Craonne le 16 avril 1917, lui conférant une valeur de symbole.
Les paroles qui ont été retenues pour la postérité sont celle publiées par Raymond Lefebvre en 1919. La musique est celle d'une chanson d'avant guerre. Elle a été composée par Adelmar Sablon.

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Dinard

5 Décembre 2023, 10:00am

Publié par Hervé

Dinard, jeudi 31 juillet 1919. Plage de l’écluse. Les vagues s’avancent les unes après les autres, fières, menaçantes. À une dizaine de mètres du bord, elles se coiffent d’un bourrelet d’écume avant de se fracasser pour essayer d’aller le plus loin possible. Louise sait maintenant qu’elles se contenteront de lui lécher les orteils. Elle passerait des heures à regarder la mer. La dame qui est avec Papapierre lui prend la main. Elle ne l’a pas entendue arriver.

- Tu viens, Louise, on va aller se baigner.

Elle n’est pas rassurée, Louise. Elle serre très fort la main d’Héloïse et avance prudemment à côté d’elle. Elle a de l’eau jusqu’aux genoux. Une vague se précipite vers elle. Elle crie et saute aussi haut qu’elle peut. Puis elle rit, elle rit…

Héloïse

Papapierre est resté sur le sable avec le petit Antoine. Il est tout petit, Antoine. Louise n’a pas le souvenir que son frère Jules était si petit. Parfois il lui fait des risettes. Parfois il fait des bulles avec sa bouche. Parfois il ferme les yeux et les poings et il devient tout rouge. Papapierre dit que c’est son frère. Elle en a déjà un, de frère. Un deuxième, alors ? La maman d’Antoine, c’est la dame qui est avec Pierre. Elle s’appelle Élouise. C’est un peu comme Louise, c’est rigolo !

Quand elle sort de l’eau, Louise est toute mouillée. Elle est tombée. Élouise prend une grande serviette de bain et l’entortille dedans.

- Tu as aimé te baigner ?

Louise claque des dents. La dame la frotte vigoureusement.

- Oui !

- On y retournera demain ?

- Oui ! Pourquoi Papapierre n’y va pas avec moi ?

- Demain. D’accord Papapierre ?

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La chanson de Craonne

4 Décembre 2023, 10:00am

La fille a une voix gouailleuse. Robe grise, tablier, un châle sur les épaules, chignon, pas de chapeau. Quand elle ouvre la bouche, on voit luire l’éclat métallique de ses fausses dents. Son compagnon joue de l’accordéon avec une cigarette vissée au bec, un chapeau sur la tête, un simple gilet malgré la fraîcheur et une chemise à carreaux.

Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes.
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau,
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
[...]
Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève.
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s'ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l'plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !
- Tu y étais, à Craonne, mon gars ?
Le gars qui a parlé porte un paletot miteux. Il a une casquette sur la tête, une trogne mal rasée et une béquille. Marcel montre sa main. Non. Accident du travail.
- T’as rien perdu. Si tu y étais allé, c’est tout le bras qui y serait passé. Ou la jambe, comme moi. T’as une cigarette ?
Il est tard. Marguerite doit s’inquiéter. Marcel est rue Blanche. La lumière des réverbères éclaire les ordures déposées à leurs pieds. Le gars se penche en avant pour allumer la cigarette en abritant la flamme dans la paume de sa main. Il s’appelle Émile.
- Merci mon gars. Tu viens boire un coup, ça nous réchauffera.
Marcel hésite. Il ferait mieux de rentrer.
- Un seul, alors.
Il jette une pièce d’un franc dans la casquette aux pieds de la chanteuse et suit Émile.

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