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Belle Époque

Partie de cartes

2 Avril 2024, 09:00am

Publié par Hervé

Le mystère des carnets volés (extrait)

Comme on était samedi, monsieur Lebrun proposa de faire une manille après le repas. Le Père Anselme, qui occupait l’appartement au-dessus de celui de Paul, accepta aussitôt. Il était toujours partant pour une partie de cartes. Messieurs Daubertin et Lepoivre se joignirent à eux. Paul, qui ne jouait pas, décida de rester. Il voulait montrer qu’il ne fuyait pas leur compagnie. Pour se donner bonne contenance, il prit avec lui les quelques journaux que madame Richier mettait gracieusement à disposition de ses clients. Dans La République française, on commentait le compte-rendu des travaux de la commission parlementaire sur les conditions de travail présidée par le duc d’Audiffret-Pasquier. Le rédacteur ironisait sur le choix du président de la commission. Un duc pour s’occuper des conditions de travail… Le Petit Journal préférait revenir sur la pluie de météores qui était tombée sur Paris le 27 novembre 1872. Un savant de l’Observatoire de Paris avançait l’idée qu’elle était due à la désintégration d’une comète. Lorsqu’il déplia Le Siècle, Daubertin réagit à la vue de la une : « Débats houleux à l’Assemblée ». Il se déchaîna contre Thiers, qui avait annoncé qu’il se ralliait au principe d’une République conservatrice. On ne l’avait pas élu pour ça ! Monsieur Daubertin était royaliste. Depuis que la France s’était mise à faire la révolution tous les trente ans, c’était le bazar dans le pays. Et si on avait envoyé quatre cents députés royalistes à l’Assemblée, ce n’était pas pour se retrouver en République. Il abattit sa dame de trèfle d’un geste théâtral, ce qui fit sursauter Lepoivre, vu que Lebrun n’avait plus de trèfles et qu’il allait forcément couper ! Le Père Anselme renchérit :

— Que voulez-vous, si les légitimistes et les orléanistes sont incapables de s’entendre sur le nom du prochain souverain, il faudra bien qu’on trouve une autre solution !

— C’est à vous de jouer, Père Anselme !

Évidemment, Lebrun ne put s’empêcher de mettre son grain de sel. Il avait voté pour l’Union Républicaine de Gambetta. Un homme à poigne, ce Gambetta. Ça suscita un tollé ! Gambetta, pourquoi pas Robespierre, pendant que vous y êtes !

Paul préféra se retirer. Ça lui rappelait les discussions lors des réunions de famille, quand il était enfant. Son père était plutôt libéral, hésitant entre son admiration pour Thiers et sa fidélité aux idéaux républicains défendus par Émile Ollivier. Son oncle était un farouche défenseur de l’empereur et du libre-échange. Le ton montait, maman se mettait à pleurer et ses messieurs à bouder. Essayez de raccommoder ça ! Paul récitait une fable de La Fontaine et ses sœurs chantaient une comptine, mais on voyait bien que les adultes les félicitaient sans conviction.

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Entracte à l'opéra

1 Avril 2024, 09:00am

Publié par Hervé

Le mystère des carnets volés (extrait)

Paul se cala contre le mur pour déguster son verre d’eau fraîche. Un peu trop fraîche, mais il n’allait pas faire le difficile.

— Monsieur Thiébaut ! Quelle surprise, j’ignorais que vous fussiez mélomane.

Paul sursauta. Il avait le verre à la bouche et renversa un peu d’eau sur son gilet. La première chose qu’il vit, ce furent les yeux d’Armande, des yeux qu’il avait connus pleins de fièvre… puis sa bouche gourmande et délectable… et, bien qu’il s’en défendît, ses seins que le large décolleté dévoilait, ses seins moelleux et qui, lorsqu’il les prenait entre ses lèvres… Des images totalement déplacées dans un lieu comme celui-ci, un lieu consacré à la musique, dans lequel le grand Horace-Rémy Poussard allait jouer les divines sonates pour violon de Bach, lui venaient à l’esprit. Et pour ajouter à sa confusion, ces images eurent un effet physiologique immédiat sur lui. Mon Dieu pourvu qu’elle ne le remarque pas ! Fort heureusement, Armande d’Aubert le regardait en face, et c’était déjà assez gênant comme ça. Il répondit d’une voix mal assurée :

— Oui… Je joue moi-même du violon…

Avait-il besoin de lui dire ça ?

— Vous jouez du violon ! C’est merveilleux ! J’adore le violon, c’est à la fois sublime et poignant… Monsieur Thiébaut, lorsque vous en aurez terminé avec cette affaire, il faut me promettre de venir jouer un soir pour moi.

— Oh, vous savez, je ne suis qu’un amateur. Vous seriez déçue !

— Vous êtes beaucoup trop modeste, monsieur Thiébaut. Mais moi, je sais que vous avez des talents insoupçonnés.

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