Pierre Waldeck-Rousseau, homme politique méconnu
Un peu d'histoire...
Quels hommes politiques de la IIIe République sont passés à la postérité ? Réfléchissons un peu… Gambetta, dont on garde en mémoire le départ en ballon de Paris assiégé. Thiers, qui a écrasé dans le sang la commune. Jules Ferry, qui a envoyé à l’école des millions de petits garçons et de petites filles qui n’avaient pas accès jusqu’alors aux rudiments de la culture. Sadi Carnot, mort assassiné par un anarchiste italien. Félix Faure, mort dans les bras de sa maîtresse. Clemenceau, l’homme au double visage, défenseur des communards et pourfendeur du colonialisme avant 1900, impitoyable ministre de l’Intérieur après. Jean Jaurès, père du socialisme à visage humain. Aristide Briand qui a donné son nom à d’innombrables rues partout en France, mais c’est surtout pour son action pour éviter le retour de la guerre après 1918… Mais qui se souvient de Pierre Waldeck-Rousseau ? C’est pourtant l’homme politique le plus influent au tournant du siècle et on lui doit deux lois fondatrices de notre République !
Pierre Waldeck-Rousseau est né en 1846 à Nantes. Fils d’un avocat républicain qui a été député à l’Assemblée constituante de 1848, il fait des études de droit et s’inscrit au barreau de Saint-Nazaire. Il est élu député en 1879 en tant que membre de l’Union républicaine de Gambetta. Celui-ci lui donnera le poste de ministre de l’Intérieur dans son gouvernement éphémère en 1881.
Il soutient ensuite le groupe des "opportunistes" dont Jules Ferry est le chef de file. Celui-ci lui confie à nouveau le poste de ministre de l’Intérieur dans son gouvernement en 1883. C’est à ce poste qu’il se fait remarquer pour la première fois en présentant une loi sur les libertés syndicales que l’on considère aujourd’hui comme fondatrice du mouvement ouvrier en France (loi du 21 mars 1884 sur la liberté des associations professionnelles ouvrières et patronales).
Après la chute du gouvernement Ferry en 1885, il prend ses distances avec la politique et revient à son métier d’avocat et s’inscrit au barreau de Paris. C’est à ce titre qu’il défend avec succès Gustave Eiffel attaqué pour sa participation au chantier du canal de Panama. Il revient à la vie politique en 1894 en se faisant élire sénateur. Il soutient dans un premier temps le gouvernement "progressiste" de Jules Méline mais se montre de plus en plus critique de sa dérive droitière. En 1898, il fonde le Grand cercle républicain qui rassemble les progressistes de gauche.
En 1899, il est nommé Président du conseil par le Président de la République Émile Loubet. La France est alors déchirée par l’affaire Dreyfus et le gouvernement progressiste de Méline a soutenu jusqu’au bout la position de l’état-major. La République est sérieusement menacée. Paul Déroulède a tenté de prendre le pouvoir à la tête de la Ligue des patriotes en février 1899. Fernand de Christiani a attenté à la vie du Président Loubet quelques mois plus tard. Pierre Waldeck-Rousseau constitue un gouvernement de Défense républicaine qui va de la droite (le général Gallifet) à la gauche (le socialiste indépendant Alexandre Millerand) en passant par les députés du futur parti radical (PRRS) menés par Émile Combes. Son gouvernement détient le record de longévité sous la IIIe République : deux ans, onze mois et seize jours ! Il parvient à sortir le pays de l’état de crise dans lequel il se trouve depuis des mois en demandant au Président Loubet la grâce du capitaine Dreyfus. (Il faudra attendre encore plusieurs années pour que son innocence soit reconnue.) La contribution la plus marquante de son ministère à la construction des bases de notre République est la fameuse "loi de 1901", qui fait sortir la réglementation du droit d’association du domaine de l’arbitraire préfectoral.
Pierre Waldeck-Rousseau meurt miné par la maladie en 1904. Il laisse un héritage qui a traversé et structuré tout le XXe siècle : la liberté syndicale et la liberté d’association.