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Belle Époque

Le bouillon Bréguet

22 Mars 2024, 10:00am

Publié par Hervé

Le mystère des carnets volés (extrait)

Le bouillon Bréguet ressemblait à tous les bouillons de quartier. Une salle au rez-de-chaussée d’un immeuble, murs couleur crème, boiserie jusqu’à mi-hauteur, un grand miroir sur un mur latéral. Comptoir recouvert d’une plaque en zinc, étagère avec quelques bouteilles, Dubonnet, le tout nouveau Lillet, absinthe Amourette Hémard, vin blanc. Pas beaucoup de choix, mais le patron ne servait l’apéritif qu’aux clients qui venaient manger. Deux rangées de tables qu’on couvrait d’une nappe en toile cirée au moment des repas. Le menu n’était guère varié. Une soupe épaisse le matin, avec du pain et un quart de vin. À midi, le patron proposait un plat de viande, hochepot ou haricot de mouton, mais qui pouvait se le payer hormis de rares clients de passage ? À sept heures, on revenait à quelque chose de plus habituel, de la soupe, bien sûr, avec du chou ou des fèves, du lard… Les habitués restaient pour jouer aux dés ou aux cartes. Piquet, tarot, manille. On bavardait. Pas de politique, on se méfiait. On connaissait tous quelqu’un qui avait été fusillé ou déporté en Nouvelle-Calédonie. Alors on parlait de sport. D’ailleurs, le patron mettait à disposition des clients un exemplaire du journal Le Sport. On commentait la page consacrée à la boxe française, mais il fallait reconnaître que, depuis, la mort de Louis Vigneron et l’exil de Joseph Charlemont, c’était moins intéressant. Au printemps, on se passionnait pour l’aviron. Réginald Gesling. Un sacré bonhomme ! Quatre fois vainqueur du championnat de la Seine.

Bistrot parisien, gravure d'époque

Lorsque Paul poussa la porte, le silence se fit. Des ouvriers de passage et deux habitués lisant le journal. Ambiance morose. La justice expéditive qui suivit la Commune avait créé un fossé entre les gens bien mis, comme Paul, et les porteurs de blouse ou de veste élimée. On n’était pas forcément d’accord avec les communards, mais de là à les massacrer ou à les envoyer au bagne…

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