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Belle Époque

histoire

Paysage politique

, 19:45pm

La IIIe République a vu défiler plus de quarante gouvernements pendant les trente-huit ans qui séparent son adoption définitive en 1876 et la première guerre mondiale. La durée de vie moyenne d'un gouvernement dépassait rarement quelques mois, voire quelques semaines. (Le gouvernement de Rochebouët n'a duré que vingt jours.) Les gouvernements Ferry II (25 mois), Méline (26 mois), Waldeck-Rousseau (35 mois), Combes (31 mois) et Clemenceau (32 mois) font figure d'exception.

L'instabilité ministérielle est la règle. Elle s'explique par le fait que le bloc républicain est composé d'une mosaïque de groupes parlementaires dont aucun n'a la majorité absolue. Il suffit qu'un texte de loi soit rejeté pour que le gouvernement qui l'a présenté tombe. Qu'à cela ne tienne, on prend les mêmes et on recommence. Jules Dufaure sera Président du conseil cinq fois, Charles de Freycinet quatre fois, Rouvier trois fois...

Pour comprendre l'évolution du paysage politique, il convient plutôt de s'intéresser à celle des majorités parlementaires.

Petit retour sur l'assemblée élue en 1871. Les élections de février 1871 ont été convoquées en application de l'accord d'armistice signé le mois précédent avec les Prussiens. Elles donnent une large majorité (396 sièges sur 638) aux monarchistes. Ceux-ci sont divisés entre légitimistes (partisans d'Henri d'Artois, comte de Chambord, petit-fils de Charles X) et orléanistes (partisans de Louis-Philippe d'Orléans, comte de Paris). Louis-Philippe d'Orléans reconnait la préséance d'Henri d'Artois dans l'espoir que celui-ci le reconnaitra comme dauphin (Henri d'Artois n'a pas de descendant). Mais Henri d'Artois est de nature intransigeante (on dirait aujourd'hui psychorigide). Il exige un retour à la restauration de 1815 (voir nota) et, en particulier, l'abandon du drapeau tricolore au profit de la bannière à la fleur de lys. Ceci aboutit à une situation de blocage... et à la rédaction de lois constitutionnelles, votées en 1875. Celles-ci instituent un système à deux chambres, une chambre basse (Assemblée nationale élue au suffrage universel) et une chambre haute (Sénat), comportant un certain nombre de sénateurs inamovibles et supposée tempérer les ardeurs de la chambre basse. Le président de la République est élu par le congrès (réunion des deux assemblées) pour sept ans. Il désigne le Président du conseil (conseil des ministres). Il a le pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale.

En 1876, l'Union républicaine de Léon Gambetta a l'intelligence de faire bloc avec le centre, composé en partie par des orléanistes ralliés à l'idée d'une république conservatrice. Cette alliance assure une confortable majorité aux républicains. L'Assemblée nationale entre en conflit avec le Président Mac-Mahon, monarchiste convaincu, qui la dissout le 16 mai 1877. Les élections d'octobre 1877 n'inversent pas la tendance. Le chef de file de cette nouvelle majorité est Jules Dufaure, un orléaniste converti, mais, dans les faits, son influence va décroître rapidement au bénéfice de celle de l'Union républicaine. Mac-Mahon se maintiendra à la présidence jusqu'en 1879 grâce au soutien du Sénat. Il finira par démissionner.

Les élections de 1881 donnent à nouveau une confortable majorité au bloc des républicains mais cette fois l'Union républicaine a pris nettement l'avantage sur le centre. Le jacobinisme de Gambetta (certains diront le caporalisme) suscite cependant l'émergence d'une nouvelle tendance, plus libérale, qui se présente sous le nom de Gauche républicaine. Jules Ferry et Jules Grévy en sont les chefs de file. Aucun de ces deux groupes n'a la majorité absolue mais la disparition de Gambetta en 1882 va permettre à la Gauche républicaine de s'imposer (gouvernement Ferry II). Au demeurant, les deux groupes finiront par fusionner pour former le groupe de l'union des Gauches.

Cette IIIe législature est fondatrice dans l'histoire de la IIIe République. C'est au cours de cette législature que Jules Ferry, deux fois Président du conseil, va faire voter les lois sur l'enseignement public. En juillet 1881 est votée une loi qui instaure la liberté de la presse. En 1884, la loi Waldeck-Rousseau reconnaît le droit syndical. La même année, le divorce pour faute est réintroduit dans le code civil. Mais c'est aussi au cours de cette législature que le gouvernement définit un programme ambitieux et cohérent de colonisation au nom d'une prétendue mission civilisatrice de la France.

Un certain nombre de députés de l'Union républicaine rejette le virage vers le centre de leur groupe parlementaire et ont fait sécession. Ils se font connaître sous le nom de radicaux et se positionnent à la gauche de l'hémicycle. Leur chef de file est Georges Clemenceau. Ils n'obtiennent pour l'heure que 48 sièges.

En 1885, l'Union des gauches (aussi appelée groupe des Républicains opportunistes) est de loin le groupe parlementaire le plus influent. Son repositionnement au centre est maintenant évident. Pas suffisamment pour un certain nombre de députés qui se regroupent au sein du très conservateur groupe des Progressistes de Jean Casimir-Périer et Jules Méline. À gauche de l'hémicycle, le groupe des radicaux continue de se renforcer.

En 1889, l'Union des gauches maintient sa prééminence. Les radicaux obtiennent 126 députés. Ils n'occupent plus les sièges les plus à gauche de l'hémicycle car les socialistes de Jules Guesde font leur entrée à l'Assemblée.

En 1893, les Républicains de gouvernement (issus d'une scission de l'Union des gauches) et les Progressistes font bloc sous la houlette de Casimir-Périer. C'est au cours de cette législature que Jules Méline va présider le conseil des ministres pendant 26 mois. Les radicaux ont continué leur progression (166 sièges), ainsi que les socialistes (41 sièges).

En 1898, les Progressistes conservent une position prépondérante mais ils sont divisés. Les radicaux les talonnent (183 sièges) tandis que les socialistes consolident leur position (55 députés). Méline, qui a soutenu la position de l'État-major dans l'affaire Dreyfus, doit céder la place à Henri Brisson, qui ne tient que 3 mois. Il est remplacé par Charles Dupuy, renversé au bout de 7 mois. On fait alors appel à Pierre Waldeck-Rousseau qui forme un gouvernement d'union. Waldeck-Rousseau prône l'apaisement. Son gouvernement dure 35 mois. C'est lui qui demande la grâce du capitaine Dreyfus au Président Émile Loubet.

Jules Méline et Pierre Waldeck-Rousseau

C'est en 1902 que s'opère le grand basculement. Les Progressistes perdent plus de 100 sièges. Le Bloc des gauches, qui va des socialistes à l'Alliance républicaine et démocratique de Pierre Waldeck-Rousseau, a gagné les élections. Les radicaux, avec 233 élus, deviennent le groupe le plus important de l'Assemblée. Leur chef de file est Émile Combes qui reste Président du conseil 31 mois. En 1906, les radicaux se divisent, Sarrien affronte Clemenceau qui a opéré un virage au centre. Le pouvoir reste néanmoins entre leurs mains. Ce sont eux qui font et défont les ministères. 1906, c'est aussi la première fois que les socialistes se présentent sous l'étiquette de la SFIO. Ils sont emmenés par Jean Jaurès.

En 1910, Émile Combes refait l'unité du parti, Clemenceau est mis sur la touche mais le virage centriste, voire droitier, est pris. A gauche, la SFIO remporte 75 sièges sur la base de mots d'ordre pacifistes et internationalistes. Aristide Briand, un temps proche des socialistes, fait bande à part. Son mouvement, les Socialistes indépendants, compte 24 élus. Aristide Briand va devenir un acteur incontournable de la vie politique française jusqu'à sa mort en 1932.

Les dernières élections législatives avant le déclenchement de la Première guerre mondiale ont lieu en avril et en mai 1914. Les radicaux sont à nouveau divisés (192 députés pour les radicaux-socialistes de Gaston Doumergue, 66 pour les radicaux indépendants de Georges Clemenceau), mais ils continuent de faire la pluie et le beau temps. La SFIO de Jaurès compte 102 élus, elle est à son apogée. 

*

Qu'en est-il de l'opposition à la République ? En 1876, elle est divisée entre monarchistes (78 sièges) et bonapartistes (75). Même scénario en 1881 (97 et 111). De Broglie (pour les monarchistes) et Rouher (pour les bonapartistes) en sont les chefs de file. En 1885, monarchistes et bonapartistes font bloc avec une troisième composante naissante, les nationalistes. Le baron de Mackau prend la tête de ce bloc anti-républicain.

Cette législature est traversée par la crise boulangiste. L'antiparlementarisme est à son apogée. En 1889, l'Union des droites rassemble 206 élus derrière la bannière du général Boulanger au sommet de sa popularité. La fuite de Boulanger fait retomber le soufflet. L'encyclique "Au milieu des sollicitudes", publiée par le pape Léon XIII en 1892 et qui appelle les catholiques à se rallier à la République, sème la confusion. Une partie des voix des conservateurs se reportent sur les Progressistes. Méline ne se fait-il pas le chantre de la ruralité ? En 1893, les monarchistes emmenés par Albert de Mun ne remportent que 88 sièges et les nationalistes 14. Même résultat en 1898 (92 et 14).

En 1902, les grandes figures du monarchisme ont passé la main. L'Alliance libérale populaire de Jacques Piou défend un conservatisme centré sur les valeurs catholiques et qui se veut social. L'ALP obtient 89 sièges et le Parti nationaliste de Paul Déroulède 35.

Les élections de 1906, 1910 et 1914 voient la droite et le centre droit se structurer autour de trois partis. La Fédération républicaine d'Alexandre Ribot se construit sur les ruines du Progressisme. Sa dérive droitière laisse la place à une formation de centre droit, l'Alliance démocratique de Louis Barthou (issue de l'ARD) qui a pris ses distances avec les radicaux. L'ALP de Jacques Piou conserve son indépendance. Le Parti nationaliste de Déroulède disparaît.

 

Nota : Le régime mis en place par Louis XVIII en 1814 repose sur une charte, octroyée par le Roi, qui précise le cadre dans lequel s'exerce  le pouvoir exécutif. Elle proclame l'autorité inviolable et sacrée du roi. Elle reconnaît cependant l'existence de deux chambres, la Chambre des Pairs, nommés par le Roi, et une Assemblée élue au suffrage censitaire (moins de un pourcent de la population a le droit de vote) qui n'a pas l'initiative des lois. La Charte de 1814 sera abrogée en 1830 et remplacée par une nouvelle charte, rédigée par des parlementaires issus de l'Assemblée élue sous Charles X et acceptée par Louis-Philippe. Elle ne change pas le principe du régime à deux chambres (en particulier elle maintient la Chambre des Pais), abaisse le montant du cens requis pour être électeur et institue le principe de responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée. Un pas timide vers le parlementarisme. 

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Que chante-t-on et où danse-t-on à la Belle Époque ?

, 19:45pm

Bals musette et guinguettes

À Paris au XIXe siècle, on danse un peu partout. Les bals sont animés le plus souvent par des auvergnats, qui jouent de la musette, une sorte de petite cornemuse. Ces "bals à la musette" sont fréquentés le dimanche après-midi par des ouvriers, des employés et des commis. De jeunes bourgeois n'hésitent pas à venir s'y encanailler, tandis que des apaches, les voyous de l'époque, rôdent dans les parages.

Le bal Debray, sur la Butte Montmartre, en est l'exemple le plus emblématique. D'abord en plein air, puis couvert, il est situé entre deux moulins appartenant à la famille Debray. On peut y danser, y déguster une galette fabriquée avec la farine moulue sur place et boire du vin de la Butte, du "guinguet". Le bal Debray sera rebaptisé Moulin de la galette à la fin du XIXe siècle.

Dans les bals à la musette, on danse surtout la bourrée. L'avènement de l'accordéon, arrivé dans les (maigres) bagages des immigrés Italiens dans les années 1880, va tout changer. Sa sonorité plus riche et sa capacité à varier les rythmes permettent d'accompagner des danses qui correspondent mieux au goût d'une population citadine qui a évolué. Les valses, polkas, mazurkas, paso-dobles détrônent la bourrée. Dans le même temps, l'extension des limites de Paris et, en conséquence, celles de l'octroi, ont repoussé les guinguettes plus loin, à Suresnes, au Plessis-Robinson ou sur les bords de la Marne, bien desservis par le chemin de fer depuis la gare de la Bastille.

L'exposition universelle de 1900 va faire de Paris un pôle d'attraction pour les riches oisifs qui ont fait fortune en Amérique du Sud. Avec eux, le tango débarque à Paris. Il suscite une véritable tangomania. On tangue dans toutes les salles de bal, nombreuses à cette époque, mais surtout dans celle, démesurée, de Magic Park, le parc d'attractions installé sur le quai d'Orsay, surnommé le temple du tango.

Une danse lascive,  au cours de laquelle les corps se touchent, se frottent... Le cardinal Amette ne s'y trompe pas. Il enjoint aux catholiques à ne pas la pratiquer au nom de la morale et de la religion.

L'intervention américaine dans la première guerre mondiale va, quant à elle, favoriser l'arrivée en France des rythmes issus de la tradition afro-américaine. Foxtrot dès 1917. Puis one-step et charleston grâce à Josephine Baker et Sidney Bechet.

Face à cette déferlante américaine, la tradition française résiste. En 1920, Mistinguett lance la mode de la java. Java qui va devenir la danse-reine des bals-musette grâce à "La plus bath des javas" immortalisée par Georgius en 1925.

Paris en chansons à la fin du XIXe siècle

Les deux dernières décennies du XIXe siècle nous ont laissé de nombreuses chansons. Les "chansonniers" étaient les stars de l'époque. Leurs chansons, éditées sous la forme de petits opuscules, circulaient largement. Mais surtout, l'invention du phonographe à cylindre, puis du gramophone à disque, permirent à leurs interprètes de se faire connaître dans tout le pays. La voix de certains est parvenue jusqu'à nous : Aristide Bruant, Félix Mayol, Yvette Guilbert...

Commençons par le plus célèbre des chansonniers, Aristide Bruant. Il nous a laissé de nombreux titres, dont certains ont été repris de nombreuses fois par la suite, comme "A la Bastille" :
Quand elle était p'tite / Le soir elle allait

À Saint'-Marguerite / Où qu'a s'dessalait :
Maint'nant qu'elle est grande / Elle marche le soir
Avec ceux d'la bande / Du Richard-Lenoir
[Refrain]
À
la Bastille / On aime bien
Nini-Peau-d’chien / Elle est si bonne et si gentille !
On aime bien (Qui ça) / Nini-Peau-d’chien (Où ça)
À la Bastille

ou "Je cherche fortune autour du Chat Noir" :

Je cherche fortune / Autour du Chat Noir,
Au clair de la lune / A Montmartre !
Je cherche fortune / Autour du Chat Noir,
Au clair de la lune / A Montmartre, le soir.

Le Chat Noir était le cabaret d'Aristide Bruant à Montmartre. On lui doit également "A la goutte d'or", ou "Rue Saint-Vincent", histoire tragique d'une petite qui avait un p'tit air innocent, qu'on appelait Rose, qui était belle et qui, pour son malheur, a rencontré Jules :

Mais le p'tit Jules était d'la tierce / Qui soutient la gerce,
Aussi l'adolescent / Voyant qu'elle n’ marchait pas au pantre,
D'un coup d'surin lui troua l'ventre / Rue Saint-Vincent.

(être de la tierce : se dit d'un indic / soutenir la gerce : proxénète / marche au pantre : racoler le bourgeois)

Les chansonniers trouvaient souvent leur inspiration dans les faits divers les plus sordides... ou bien les inventait. Ainsi Jean Richepin, auteur de "la Glu", histoire d'un brave gars rendu fou amoureux par une fille qui ne l'aimait pas :

Ell’ lui dit : apport’moi d’main / Et lon laire, et lon, lon la         
Ell’ lui dit : apport’moi d’main / L’cœur de ta mèr’ pour mon chien.    
Va chez sa mère et la tue / Et lon laire, et lon, lon la
Va chez sa mère et la tue / Lui prit l’cœur  et s’en courut.

Maurice Mac-Nab a un répertoire plus gai. Il est l'auteur du fameux "Métingue du métropolitain" :

C'était hier, samedi, jour de paye / Et le soleil se levait sur nos fronts
J'avais déjà vidé plus d'un' bouteille / Si bien qu' j'm'avais jamais trouvé si rond
V'là la bourgeois' qui rappliqu' devant l' zingue :
Feignant, qu'ell' dit, t'as donc lâché l' turbin?"
Oui, que j' réponds, car je vais au métingue / Au grand métingu' du métropolitain!"

Sur un mode aussi parodique, Delormel et Garnier nous ont laissé une chanson écrite à la suite d'un rassemblement boulangiste, "En revenant de la revue" :

Gais et contents, nous marchions triomphants,
En allant à Longchamp, le cœur à l'aise,
Sans hésiter, car nous allions fêter,
Voir et complimenter l'armée française.

La femme, comme objet du désir, est, bien évidemment, la source de nombreuses chansons, comme le fameux "Frou-frou" de Monréal et Blondeau :

Frou-frou, frou-frou / Par son jupon la femme
Frou-frou, frou-frou / De l'homme trouble l'âme
Frou-frou, frou-frou / Certainement la femme
Séduit surtout / Par son gentil frou-frou.

L'époque est également riche en chansons revanchardes. Ainsi la chanson "C'est un oiseau qui vient de France" de Camille Soubise :

Les cœurs palpitaient d'espérance
Et l'enfant dit aux soldats :
« Sentinelles, ne tirez pas,
Sentinelles, ne tirez pas.
C'est un oiseau qui vient de France

Camille Soubise est également l'auteur de "La Chanson des blés d'or", dans un tout autre registre, qui a été reprise de nombreuses fois. Plus vindicative, la chanson "Le fils de l'Allemand" de Villemer et Delormel :

Va passe ton chemin, ma mamelle est française
N'entre pas sous mon toit, emporte ton enfant
Mes garçons chanteront plus tard la Marseillaise
Je ne vends pas mon lait au fils d'un Allemand.

La période est également un âge d'or pour les chansons militantes. Tout le monde connaît "Le temps des cerises" (Jean Baptiste Clément). On associe souvent cette chanson à la Commune mais elle a été écrite sous le second empire. Eugène Pottier, auteur de l'Internationale, en a laissé quelques-unes qui continuent d'être chantées dans les rassemblements populaires, comme "La Commune n'est pas morte' :

Tout ça n'empêche pas, Nicolas,
Qu' la Commune n'est pas morte !

Pottier était proche des socialistes. Sébastien Faure ne cachait pas ses opinions anarchistes :

Église, Parlement / Capitalisme, État, Magistrature
Patrons et Gouvernants / Libérons-nous de cette pourriture
Pressant est notre appel / Donnons l'assaut au monde autoritaire
Et d'un cœur fraternel / Nous réaliserons l'idéal libertaire

Les sympathisants d'extrême droite n'étaient pas en reste, en témoigne cette chanson des supporters de l'Action française :

Vivent les camelots du roi, ma mère,
Vivent les camelots du roi...
Ce sont des gens qui s'foutent des lois,
Vivent les camelots du roi !
...
Et vive le Roi, à bas la république !
Et vive le Roi ; la gueuse on la pendra !

Pour terminer ce florilège, comment ne pas citer la chanson "Alouette", été écrite en 1879 par Marius Barbeau :

Alouette, gentille alouette,
Alouette, je te plumerai.
Je te plumerai la tête.
Je te plumerai la tête.
Et la tête ! Et la tête !
Alouette, Alouette...

Début du XXe siècle

Le début du XXe siècle voit l'émergence de nouveaux chanteurs-vedettes, comme Bach et Dranem. Mistinguett fait ses débuts au Moulin Rouge qui a ouvert ses portes en 1903.

Le répertoire se fait plus léger. Félix Mayol écrit "Viens Poupoule" en 1902 :
Viens poupoule, viens poupoule, viens !
Quand j'entends des chansons ça m'rend tout polisson
Ah ! viens poupoule, viens poupoule, viens !
Souviens-toi qu'c'est comm'ça que j'suis dev'nu papa

En 1906, c'est au tour de Vincent Scotto de sortir "La Petite Tonkinoise" :
Je suis gobé d'une petite
C'est une Anna, c'est une Anna, une Annamite
Elle est vive, elle est charmante
C'est comme un z'oiseau qui chante
Je l'appelle ma p'tite bourgeoise
Ma Tonki-ki, ma Tonki-ki, ma Tonkinoise
D'autres me font les doux yeux Mais c'est elle que j'aime le mieux.

En 1908, Raoul Georges se fend de l'inénarrable "Elle était souriante", qui en dit long sur la mentalité lasculine de l'époque :
... Les brigands furieux d'la voir rire lui attachèrent, les mains, les pieds,
Puis par ses cheveux la pendirent au plafond en face du plancher.
Refrain :
Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir,
Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes,
Avec de l'eau de son arrose soir.

Dans un registre marqué par un certain réalisme social, Benech et Dumont sortent coup sur coup en 1912 "La femme aux bijoux" (C'est la femme aux bijoux,  Celle qui rend fou, C'est une enjôleuse) et "L'Hirondelle du Faubourg", l'histoire tragique d'un'pauv'fille d'amour :
Comm' les autr's elle aurait p't'ètr' bien tourné,
Si son père au lieu d'l'abandonner,
Avait su protéger de son aile,
L'Hirondelle.

En 1913, Vincent Scotto écrit le poétique "Sous les ponts de Paris" pour le chanteur Georgel :
Sous les ponts de Paris, lorsque descend la nuit
Comme il n´a pas de quoi s´payer une chambrette,
Un couple heureux vient s´aimer en cachette,
Et les yeux dans les yeux faisant des rêves bleus,
Julot partage les baisers de Nini
Sous les ponts de Paris

À partir de 1910, la menace de plus en plus pressante de la guerre remet au goût du jour le comique troupier. On en est persuadé, la guerre sera courte !
Avec l'ami Bidasse
On ne se quitte jamais,
Attendu qu'on est
Tous deux natifs d'Arras-se,
Chef-lieu du Pas de Calais

Malgré l'impopularité de la loi des trois ans, le service militaire n'est-il pas l'occasion d'une initiation aux plaisirs de ka vie d'adulte ?
Quand Madelon vient nous servir à boire
Sous la tonnelle on frôle son jupon
Et chacun lui raconte une histoire
Une histoire à sa façon.
La Madelon pour nous n'est pas sévère
Quand on lui prend la taille ou le menton
Elle rit, c'est tout le mal qu'elle sait faire
Madelon, Madelon, Madelon !

 

Les années folles

En 1920, Mistinguett est devenue une grande vedette. Elle enchante les oreilles masculines avec "Mon Homme" :
Sur cette terre, ma seule joie, mon seul bonheur
C'est mon homme.
J'ai donné tout c'que j'ai, mon amour et tout mon cœur
À mon homme.
Et même la nuit, quand je rêve c'est de lui,
De mon homme.
Ce n'est pas qu'il soit beau, qu'il soit riche ni costaud
Mais je l'aime !

De son côté, Maurice Chevalier rencontre un grand succès en 1921 dans l'opérette "Dédé" avec la chanson "Dans la vie faut pas s’en faire" :
Dans la vie faut pas s’en faire
Moi je ne m’en fais pas
Toutes ces petites misères
Seront passagères
Tout ça s’arrangera
Je n’ai pas un caractère
A me faire du tracas
Croyez-moi sur terre
Faut jamais s’en faire
Moi je ne m’en fais pas

Mistinguett et Maurice Chevalier

En 1922, Lucien Boyer sort "Monte là-dessus, tu verras Montmartre", monument de la pensée philosophique de l'époque :
Mont' là-d'ssus
Mont' là-d'ssus
Mont' là-d'ssus et tu verras Montmartre
Et sois bien convaincu
Qu' tu verras sûr'ment quéqu'chos' de plus

Benech et Dumont explore quant à eux un registre plus poétique avec "Nuit de Chine" :
Nuits de Chine, nuits câlines, nuits d'amour
Nuits d'ivresse, de tendresse
Où l'on croit rêver jusqu'au lever du jour !

En 1925, l'avènement du 78 tours fait entrer le disque dans l'âge industriel. La même année, Maurice Chevalier triomphe avec Valentine :
Elle avait des tout petits petons, Valentine, Valentine
Elle avait des tout petits tétons
Que je tâtais à tâtons, tontaine ton ton
C'est aussi l'année de la Revue Nègre qui propulse Joséphine Baker au firmament des stars parisiennes.

En 1928, Maurice Chevalier s'envole pour Hollywood pendant que Fernandel débute à Bobino. L'année suivante, Mistinguett, qui va pourtant sur ses 54 ans, se proclame "Gosse de Paris" :
Je suis née dans l'Faubourg St-D'nis
et j'suis restée une vraie gosse de Paris
vos promesses et tous vos serments
je n'y crois pas car c'est du boniment
mon air voyeur, mes yeux moqueurs de midinette
sont plein d'bonheur et j'garde mon cœur
car j'vous l'répète
Je suis née dans l'Faubourg St-D'nis
faut pas m'la faire, j'suis une gosse de Paris.

Beaucoup plus crédible, la déclaration de Joséphine Baker au monde entier en 1930 :
J'ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon coeur est ravi !

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